Enfants de militaire : Les 3 R de la parentalité

J'ai découvert l'important travail d' Abigail Gewirtz en faisant mes premières recherches sur les familles de militaire et la parentalité. Elle est professeur et directrice de l'institut interdisciplinaire de recherches sur la santé mentale des enfants à l'université du Minnesota aux USA.

Des stratégies pour aider les familles de militaire

Dans une étude intitulée "Helping military families through the deployment process: Strategies to support parenting" elle s'intéresse avec d'autres chercheurs au processus dans lequel s'inscrivent les familles lors des missions extérieures et aux stratégies qui peuvent leur être proposées. J'ai découvert le principe des 3 R pour "rules, routines, and rituals"  (Règles, routines et rituels). Un outil comme un mémento qui peut nous guider dans la prise de conscience de l'importance d'un environnement stable et prévisible lors des absences.

Il existe une littérature assez conséquente démontrant que de nombreux problèmes de santé mentale auxquels sont confrontés les militaires déployés et leurs conjoints affectent le bien-être des enfants. Il me parait donc important de nous outiller et de réfléchir à cette question de la gestion de l'absence.

Penchons-nous maintenant sur une des stratégies de bases que je vais tenter de développer  :

les 3 R de la parentalité

En fait, je vais même vous parler de 4 R, car mes recherches m'ont mené un peu plus loin que prévu !

Nous avons tous des règles de fonctionnement en famille. Des choses que nous tolérons et d’autres non. Ces règles sont comme des valeurs que nous voulons que chaque membre respecte. Elles ne sont pas toujours explicites. Un exercice pour toute la famille peut consister à les matérialiser et dans un premier temps à les discuter, afin de les adapter à l’âge de l’enfant. Y avez-vous déjà pensé ?

 R comme Règles 

Le principe des règles : générales et  peu nombreuses !  Elles pourront alors convenir à plusieurs situations. On peut distinguer les règles qui concernent le respect, les règles relatives aux horaires et à la sécurité, les règles qui protègent l’identité, la place et le rôle de chacun. Les règles ne sont pas seulement des choses négatives ou des « On ne doit pas ».

  • Un exemple de règle sur le respect : « Dans notre famille, on parle de tout, on explique plutôt que de crier » peut être rappelé lorsqu’un des enfants  mord ou crie pour se faire entendre ou lorsqu’un des membres veut rappeler qu’il n’accepte pas tel ou tel comportement qui le blesse ou le vexe.
  • Exemples de règles sur l’organisation de la famille : « Dans notre famille, on prend le dîner tous ensemble » « On écoute les consignes » « On range quand on a fini »
  • Exemples de règles relatives à l’individu, sa place, son rôle : « Dans notre famille, on n’ouvre pas les portes sans frapper » « Chacun a droit à son intimité » « Tout le monde a le droit de dire ce qu’il ressent » « On aide les autres » « On s’écoute »

Une règle ainsi affichée ou répétée à la maison, vers laquelle on peut revenir, peut être un outil de régulation et de discussion avec l’enfant. Le but n’est pas de créer un moyen de justifier les conséquences de leur non-respect, il sera plutôt de vous exprimer, de donner du sens mais aussi de connaitre son avis sur ces règles qui régissent la maison. Un temps de partage peut permettre d’expliquer pourquoi elles sont importantes et pourquoi elles ont du sens pour les uns et les autres. Un véritable moment d’échange entre tous. Au fil des ans et de la croissance de votre enfant, les règles changeront ou évolueront, l’important étant que chacun en comprenne le sens et l’importance.

Ne vous précipitez pas sur les affiches qu'on trouve toutes faites en magasin. Je trouve que chacun devrait réfléchir à ces règles, son identité en tant que couple ou tribu sans se les faire dicter par un commercial créatif. On n'est pas des robots. Votre famille vaut bien quelques discussions autour de ses valeurs et ce qui est important pour elle. Un temps partagé en famille pour en discuter vaudra toujours mieux que de plaquer au mur une affiche achetée chez Alinéa que jamais personne ne lira.

R comme Routines

Les enfants s'épanouissent dans une certaine forme de stabilité : Un environnement prédictible, des repères spatiaux, temporels et affectifs stables et sûrs. Désolée pour les pros de l'impro, ceux qui pensent que l'enfant doit s'adapter à leur rythme, suivre et pas trop la ramener. Les improvisations, les changements de programme, les couchers tardifs et autres, c'est à petite dose, ça doit rester exceptionnel, sinon, je vous assure qu'un jour ou l'autre, d'une façon ou une autre, vous le paierez (d'ailleurs c'est souvent l'enfant qui morfle en premier d'un manque de stabilité). Avez-vous remarqué la place qu'est donnée aux routines à l'entrée en maternelle ? Le fonctionnement d’une famille (de militaire ou pas) comporte sa dose de routines, on aura beau la rêver libérée-délivrée, elle s'avère souvent être une longue liste de tâches successives. En couple, on peut se permettre des écarts sans trop de conséquences mais le manque d'organisation avec un enfant peut rapidement devenir invivable. Voire préjudiciable pour les petits. C'est comme ça. C'est un truc à peser avant de se lancer je pense.

L'organisation familiale est mise à mal lors du départ en OPEX ou en mission. Si des tâches étaient partagées, elles deviennent l'entière responsabilité du parent qui reste et le stress aidant, la culpabilité, la lassitude, la fatigue peuvent nous pousser à abandonner certaines habitudes lors du départ de notre militaire. Leur modification est possible, mais l'étude qui nous guide ici, insiste toujours sur la notion de prédictibilité : Plus l'enfant subit de changements dans son mode de vie, plus les routines doivent être claires et stables. Plus son environnement doit être prédictible. En gros : il vient déjà d'encaisser le départ d'un parent pour une durée qu'il a parfois du mal à visualiser, on va peut-être limiter un peu les changements pour les mois à venir.

Les routines illustrées sont à la mode. Initialement utilisées pour les enfants avec trouble du développement, elles sont désormais utilisées dans de nombreuses familles et on en trouve des exemples sur internet très facilement. Leur but : découper en images les moments clés d'une journée ou d'une action pour aider l'enfant à comprendre et/ou agir. (en photo : la routine du retour de l'école chez nous).

La routine autour du coucher

Dans une étude de 2009, nommée "A Nightly Bedtime Routine: Impact on Sleep in Young Children and Maternal Mood"Routines (une routine à l'heure du coucher : impact sur le sommeil des jeunes enfants et le moral des mères), une équipe de pédiatres américains menée par Jodi A. Mindell, spécialiste du sommeil de l'enfant, a étudié 405 mamans accompagnées de leur enfant (âgé de 7 mois à 3 ans). Même si cette étude comporte certaines limites (les résultats sont  récoltés à l'aide de questionnaire et une seule routine incluant un bain, des massages et des jeux calmes, a été testée ...), il en ressort que le fait d'avoir instauré une routine autour du coucher augmente la régularité du sommeil (moins de réveils nocturnes). Les mamans déclarent le sommeil de leur enfant moins "problématique" et leur humeur s'est sensiblement améliorée.

La journée d’un enfant peut être accompagnée par de petits moments de routines autour des temps-clé de la vie quotidienne. Pourquoi ne pas représenter certaines routines à l’aide de dessins ou de pictogrammes ? (http://www.lespictogrammes.com/) Cela l’aidera à visualiser les choses et renforcera son autonomie. Ce n'est qu'un témoignage et ça n'a pas de valeur, mais chez moi, ça a bien fonctionné.

R comme Responsabilités ? Pourquoi pas ?

Les routines ont plusieurs avantages, en plus d'offrir un support intelligible pour les enfants, elles peuvent aussi permettre de les initier aux responsabilités. Pour le dire autrement : leur apprendre à nous aider ! D’ailleurs, l’enfant qui grandit, passe par une phase où il veut faire seul ou comme les grands. C’est dès cette période que l’on peut commencer à l’initier progressivement aux responsabilités.

Marty Rossmann, chercheuse américaine a observé que les enfants qui « aident » à la maison, ont plus de chance de réussir leur vie. Elle a rencontré 84 enfants entre 3 et 16 ans, puis les a interviewé  10 ans plus tard afin d’observer quelles conséquences avaient eu sur leurs compétences sociales (dont l’empathie) et leur sens des responsabilités, la participation aux tâches quotidiennes.

Le résultat de cette étude montre que les enfants responsabilisés et valorisés dès l'âge de 3 ou 4 ans, par un investissement dans le fonctionnement de la famille, avaient à terme, de meilleures relations interpersonnelles, une meilleure  réussite scolaire et même une plus forte probabilité d’acquérir leur indépendance économique. Toute notre vie est ponctuée par ces petites obligations de la vie de tous les jours. En tant que maman d'un petit garçon, je me sens responsable de lui inculquer ce que veut dire "prendre part" à la vie d'une maison. Nous savons comme le sujet du partage des tâches peut devenir un sujet de conflit dans les couples. Autant qu'il apprenne très tôt à prendre SA part.

Les responsabilités concernant les tâches domestiques peuvent tourner selon les semaines, être négociées, être partagées. Dans ce domaine comme dans d’autres, tout est question de dosage. Il faut encourager, valoriser l’enfant et respecter selon l’âge trois étapes de progression :

  • Etape 1. L’enfant ne fait qu’aider. Il observe  et essaye.  Il ne termine pas forcément la tâche.
  • Etape 2. Il commence à pouvoir finir la tâche mais il a besoin d’être supervisé
  • Etape 3. Il réalisera la tâche seul sans contrôle. Et si tout va bien plus tard encore, il la réalisera spontanément.

Le seul défaut de cette idée, c’est qu’elle demande du temps, mais quel bonheur pour la suite ! Votre future belle-fille/beau-fils vous aime déjà !

R comme Rituels

Un rituel de famille, vous en avez peut-être déjà un, même plusieurs  ? C'est peut- être 'la soirée film du mardi soir", "le menu pizza préparé tous ensemble sur le plan de travail", la soirée "junk food" mensuelle. Ici, la balade en forêt, qu'il pleuve ou qu'il vente, c'est un rituel. On fait aussi du pain, régulièrement, avec cette sensation de faire quelque chose de bien pour nous. Le livre du soir c'est aussi un rituel. Un rituel, c'est un moment privilégié pour se connecter, renforcer les liens et le sentiment de « faire famille ». Les rituels s'improvisent souvent, deviennent d'ailleurs des rituels sans qu'on le décide. Ils s’essayent avant d’être adoptés, si au bout d’un moment, on se rend compte que ça n’accroche pas, on en change.

Il me semble que nos sociétés manquent cruellement de rituels. La religion disparaissant du paysage, nous avons oublié peu à peu leur pouvoir et leur symbolique. En tant que non-croyante, je reste convaincue par leur importance et la nécessité de les réinventer.

Les rituels peuvent être difficiles à mettre en place dans les familles de militaire. La logique commerciale semble avoir envahie tous les évènements de nos vies. La majorité des gens offrent des cadeaux pour certaines occasions, on se réunit lors de ces mêmes occasions dictées par un calendrier qui ne reflète pas toujours nos "moments clés" à nous. Comment faire quand on vit dans l'instabilité ? Comment faire quand les fêtes de fin d'année tomberont en plein Vigipirate ? Quoi faire de cette improvisation constante à laquelle nous oblige parfois l'armée ? Faut-il toujours mettre nos projets au conditionnel ? Lorsque prévoir des vacances se fait avec le risque d'une annulation ... comment conserver des "rituels" en famille ?

Les rites disparaissent, inventons nos rituels !

Conserver les routines existantes, ok, mais pourquoi ne pas en intégrer une nouvelle pendant l’absence ? Un film d’animation le samedi soir (vous connaissez Myazaki ?), faire des vacances à thèmes (Déjà testé : Le chocolat ( avec cuisine, visite de chocolaterie, visionnage de "Charlie et la chocolaterie" ... )), le repas du samedi midi qui se prépare à plusieurs, le vendredi soir on mange un petit-déjeuner anglais… Les meilleures idées seront les vôtres !

Il n’est pas rare que pendant l’absence du parent, des évènements importants se passent (anniversaire, fêtes familiales…). Une fête c’est quelque chose qui sort de l’ordinaire et c’est un moment de partage en famille. Alors posez-vous cette question : Est-ce qu’un rituel c’est forcément quelque chose qui figure dans le calendrier de tout le monde ? J’ai envie de dire non. Donc, si je n’ai pas pu fêter mon anniversaire, pourquoi on ne fêterait pas notre premier « je t’aime », le jour des premiers pas du petit dernier, les équinoxes ?  le premier jour de l’été ? Pourquoi ne pas créer un rituel de passage pour votre adolescent ?


Créez VOTRE tradition, votre souvenir, votre surprise !

Ce sera VOTRE fête, votre rituel rien qu’à vous !


Les Règles, routines et rituels ne sont pas des ingrédients magiques. Il y aura des ratés, un soir, le petit aura besoin de faire trois tours de salon en courant avant d’aller dormir, une règle devra être révisée, un rituel abandonné car personne n’y trouve plus son compte. L’important c’est d’y penser, et de tenter d’offrir à nos enfants un cadre qui fait sens et dans lequel ils perçoivent notre intention de bien faire et de leur donner des repères.

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