L'article de la rentrée... mais on est en novembre
- Par lareflexiothecaire
- Le 15/11/2022
- 4 commentaires
C'est dingue ce qu'il faut comme énergie pour écrire un article de blog. J'ai commencé à écrire en septembre, mais si madame, j'vous jure!
La vérité c'est que je cours sur un tapis roulant depuis le 13 avril dernier. J'en suis au moment de la blessure, en fait, non, j'en suis au moment où tu cours encore, SUR la blessure. Ma vraie affiche de rentrée c'était ça là :
En avril, on a acheté LA maison. Je me suis installée seule avec l'enfant, en attendant la fin, comme un tic-tac, du célibat géographique. Et là, ça a commencé. La course, le tapis roulant. Je me suis installée, j'ai commencé à courir et le panneau de contrôle a disparu, depuis je n'ai plus arrêté de courir. J’ai perdu le contrôle de la machine.
Je me souviens, j'ai commencé par dresser un inventaire des choses à faire dans la maison, j'ai tout inscrit. Je me pointais dans la pièce avec un bout de carton et une feuille pincée dessus et je notais tout avec application. On aurait dit un huissier. J'ai fait pareil sur les plus de 3000m² de terrain. J'ai tout noté comme une écolière et j'ai créé LA To-do list la plus longue de ma vie, longue comme un bras, non, plus longue que ça ! Elle faisait 4 pages A4. Deux bras !
Oh, ça ne m'a pas effrayé, je me souviens que j'avais réussi à y glisser des petites vannes comme "changer ce papier peint affreux", "boucher le trou béant" parce que je pensais sans doute que ça allait être une partie de plaisir ! Et franchement, parlons-en du plaisir, parce qu'il y en a.
Je suis littéralement tombée amoureuse de ma maison. La première fois que je l'ai visitée, j’ai pris quelques photos, principalement de TOUS ses défauts. La grosse déception une fois qu’il a fallu les montrer à mon homme : comment lui donner envie de visiter un truc dont je n’ai gardé en image que les mauvais côtés? Sacrée moi!
Une fois partie, la bâtisse dans le rétroviseur, je m'étais garée sur le parking de l'école communale un peu plus loin, car mes yeux voyaient flou comme dans un bocal. Je me souviens avoir dit "Je crois que c'est elle" à mon mari et à ma mère sur un vocal.
Une maison d'architecte des années 80. Propre apparemment. Deux boomers bien mis, un peu chics. Un terrain riche de nombreux arbres d'ornement, mais aussi de fruitiers. Un écrin de verdure qui la borde, comme une couverture moelleuse, avec de très grands arbres par endroit. Dans mes rêves d'antan, je n'aurais jamais pensé avoir un jour une aussi belle maison. En tout cas, à mon goût. J'ai tellement eu de mal à m'habituer, tellement pris de temps à réaliser qu'elle était à nous, que j'étais chez moi. J’ai grandi dans une famille plutôt modeste et dans mon imaginaire, les maisons d’architecte, ça n’était pas pour mon « rang ».
Je me souviens des premiers jours sur le tapis de course. Le soir, je me posais sur le vieux canapé, complétement vide à 21h (ces jours-ci, je pousse jusqu'à 21h30 youhou!), je regardais la mezzanine, les yeux perdus dans les hauteurs du plafond, scrutant les solives, les rambardes, les poutres d’appui. Surveillant les lueurs des couchers du soleil, chaque soir différentes. Les rayons rasants qui réchauffaient les tomettes et coloraient l’ambiance d’ocre rouge. Mon petit hamster, dans ma tête, courait lui aussi dans sa petite roue, encore plus vite que d’habitude. « C’est notre maison maintenant », « Oui oui, c’est chez toi », « Mais il faudra que tu penses à faire ça, et ça aussi ».
Les premières nuits, en fait, toutes les nuits seules en attendant mi-juillet, je n’ai quasiment pas dormi. Je surveillais la maison et ses bruits. J’ai appris les craquements, grincements, frottements. Les portes mal fermées, le bruit des gravillons, le vent dans les feuilles, sur le volet. Malgré mon analyse rationnelle de toutes les sources possibles d’inquiétude, j’étais sur le qui-vive constamment. Impossible de dormir normalement. Je tombais parfois, un cycle par-ci par-là, pendant lequel je cauchemardais d’une fuite, d’un arbre à terre… Mon hamster intérieur est un véritable possédé.
La course était lancée.
Je tombais amoureuse en nettoyant d’abord. Forcément, on s’attache aux choses que l’on façonne et puis j’ai commencé les réparations, ça a été le début d’une relation passionnelle, quoi qu’un poil dévastatrice. Les anciens propriétaires, que j’ai fini par baptiser « les deux criquets » n’étaient pas les personnes que je croyais. La maison et son intérieur, cachaient en fait beaucoup de défauts et malfaçons derrière la beauté de façade. Tout le monde le sait, lorsqu’on achète une maison, il y a tout ce qu’on voit. On chiffre les « travaux » vaguement en oubliant 20% par irréalisme d’inexpérimenté. Mais, il y a aussi TOUT ce qu’on ne voit pas. Et là, on ne chiffre rien, ou alors et c’était notre cas, on se doute bien qu’il y aura des surprises, mais on se refuse à chiffrer, par excès d’optimisme délibéré. Les jeunes fous!
Ajoutez à tout ça, ce jour où le monde entier, nous compris, a découvert que tout son équilibre reposait sur l’Ukraine. Je ne vous fais pas de dessin. Le chiffrage est devenu un gouffre mathématique.
C’est ça le tapis de course. C’est la somme de ce qu’on voit et de ce qu’on ne voit pas.
C’est la To-do list infaisable car le projet initial, estimé à quelques heures de travail, se révèle en fait une mine de petites étapes chronophages. Vous pensez retirer 5 chevilles dans un mur et vous finissez avec 19 trous de 1cm dans les plaques de plâtres, percées frénétiquement par un criquet, à des endroits improbables, pour fixer je ne sais quelle étagère à 18 cm du sol. J’ai maudit Valérie Damidot, je pense que cette personne a fait beaucoup de mal au patrimoine immobilier français, je l’ai dit et le redis. Elle a démocratisé le bricolage pour les gens pas doués. Maintenant, on est plusieurs à se retrouver avec du carrelage mural repeint, les pieds qui baignent dans des bacs de douche pas d’équerre qui prennent l’eau. C'est aussi ça la réalité des maisons qu’on achète à la génération de nos parents. Je réalise aujourd’hui que mon père avait un talent certain pour l’entretien et le bricolage et que ce n’est pas donné à tout le monde.
Damidot claque des spots blancs pour filmer ses méfaits et tout parait propre et bien fini. La réalité c’est que la chambre de Jacky et Claudine est en parquet cheap, posé à la va-vite sur l’ancienne moquette beaucoup trop épaisse et que ça donne l’impression de marcher à Versailles, ça grince comme une truie qu’on égorge.
J’apprends beaucoup sur moi depuis que je vis ici. Je viens de fêter mes 45 ans et j’ai l’impression que plus je répare et bricole chez moi, plus je réalise que j’ai beaucoup de réparations en attente aussi dans ma tête. Je me demande si ça se calmera un jour. Je m’en veux parfois de ne pas arriver à trouver la paix. On dirait que quoi que je fasse, je n'arrive pas à m'arrêter. Parfois, je suis en sueur sur un truc, ou à 4 pattes par terre et je me dis: « Mais merde, est-ce que tout ça a un sens ? »
Depuis que j’ai quitté le monde du travail, j’ai de moins en moins envie du dehors. Du monde. Je suis devenue un peu handicapée. Depuis que j’ai l’âge de communiquer, je me pose des questions sur ce que je communique. Et bien, à 45 ans, je suis de pire en pire, je me mettrais des baffes. Malgré des années de réflexions, je suis toujours aussi nulle. J’ai pris l’habitude d’être seule et ça a un effet pernicieux : plus les contacts avec les autres sont rares, plus j’ai envie d’aller à l’essentiel, plus j’en attends et c’est un problème, car si moi j’avance de plus en plus sans masque, j’oublie que les autres portent toujours le leur. Par confort, par habitude, par peur, parce qu’ils n’ont pas appris à être autrement. Alors forcément, je reste sur ma faim. Je voudrais qu'on se parle sans fard, qu'on puisse dire les choses, même graves, sans être jugé. Je rêve de communication authentique tout en étant de moins en moins sûre de pouvoir la supporter.
Vous me suivez ? Nan, je suis sur mon tapis de course et il n’y a de la place que pour une seule personne. Je trouve chaque jour et toute seule, d’autres choses à faire à la maison mais globalement, le gros de la To-do list longue comme deux bras se termine. Je suis épuisée et je ne récupère plus la nuit.
J’ai pris un uppercut de la vie il y a peu. En fait, c’est ma sœur qui l’a encaissé et on sous-estime la violence que c’est de regarder quelqu’un se prendre un coup. Au-delà du fait que je me suis forcée à descendre du tapis de course, ça m’a remis tout un tas de questions dans la tête. Mais surtout, j’ai appris un truc, en fait je l’ai réappris car je le savais déjà, mais il y a des leçons qu’on oublie plusieurs fois : Il ne faut jamais reporter à plus tard son bonheur et encore moins, le repos.
Je vous dis ça alors que j’ai repris le tapis de course dès mon retour d’escapade. Mais je vais le considérer autrement ce tapis. Il sera là, toujours et je pourrai y monter régulièrement, car avoir une maison avec un jardin, c’est avoir de quoi s’occuper pour toute une vie. C’est quelque chose que je mesurais assez mal avant. Avoir les choses dont on rêve c'est d'abord beaucoup de chance (on l'oublie) et c'est aussi du travail.
Ce matin, j’ai imaginé un exercice. Vous avez déjà entendu parler de celui qui consiste à se projeter dans 5 ou 10 ans. C’est une pratique en psychologie assez courante qui est aussi utilisée par les recruteurs sadiques (tous les recruteurs). C’est un bon exercice pour définir ses objectifs par exemple. Mais moi, là, je l’ai pensé à l’envers.
Je me suis dit « Souviens-toi de toi faisant cet exercice il y a 10 ans. Qu’attendais-tu de la vie ? Où te voyais-tu ? Quels rêves ou aboutissements envisageais-tu ? »
Et bien, c’est assez clair que j’ai complètement coché les cases.
Il y a 10 ans, je voulais être toujours amoureuse et je fêtais déjà mon 1er anniversaire de mariage avec mon homme. 10 ans plus tard, mission réussie, je crois que je réalise presque chaque jour la chance que j’ai de l’avoir dans ma vie.
Il y a 10 ans, je me voyais maman et ça aussi, c’est arrivé. Mon petit bonhomme est un spectacle à lui tout seul, il a été un bébé incroyable. Parfois, c’est un petit gars pointu, exigeant, intelligent, qui se révèle être un défi et je l’aime immensément.
Il y a 10 ans, je voulais vivre loin de la ville. J’allais déménager quelques mois plus tard.
Il y a 10 ans, je voulais enfin une maison avec un terrain à nous. C’est fait ! La maison est encore mieux que dans mon imagination et le terrain est déjà incroyable mais il me laisse encore de l’espace pour la créativité et je n’en manque pas.
Il y a 10 ans, je voulais avoir enfin un potager ! Depuis qu’on vit ici, je ne sais pas par quel bout prendre les 120 m² de cet espace. J'ai déjà fait quelques récoltes, c'est magique. Je viens d’y consacrer 4 jours complets et j’ai réalisé un aménagement qui va me permettre de cultiver dans de bonnes conditions.
Toutes ces choses positives que j’ai projetées et rêvées et que j’ai, me demandent du travail, c’est ce qu’on ne se représente pas quand on rêve de son futur. On n'en voit que les paillettes et ce bonheur qui adviendra. Une belle relation de couple, c’est du travail, tous les jours (mon chéri, je te jure que je travaille). La parentalité c’est une aventure déroutante, je n’aurais jamais pensé que ça demandait autant de remise en question et de travail. Vivre à la campagne, c’est une gestion du quotidien plus exigeante. Un terrain, c’est du travail, qui inspire et qui aspire, car parfois, il s’impose à nous.
Alors, trouver la paix, c’est peut-être un peu inaccessible.
Peut-être que je peux essayer de me l’offrir un peu plus souvent, juste quelques minutes même, là, maintenant. Et arrêter de reporter à plus tard mon repos, ma joie, le bon temps, le partage, les rendez-vous, les visites et le sentiment de gratitude.
Commentaires
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- 1. Émilie Le 21/01/2023
Bonjour!
Merci pour cet article. Il est encore temps de vous souhaiter une belle année 2023 avec vos proches dans ce nouveau chez-vous.
Je me suis beaucoup retrouvée car la description de la maison ressemble beaucoup à la mienne. Les poutres, la mezzanine, le jardin qui va bientôt accueillir un potager, les arbres d’ornement et fruitiers, les lumières changeantes du coucher de soleil et … les deux criquets pas doués en bricolage. :D
Je garde en tête cette phrase « Il ne faut jamais reporter à plus tard son bonheur et encore moins, le repos. »
Belle journée-
- lareflexiothecaireLe 27/01/2023
Coucou Émilie mes meilleurs vœux à vous et vos proches, ça me fait très très plaisir que vous soyez passée :)
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- 2. Gg Le 15/11/2022
Bonjour,
Vous nous demandez si on vous suit, je vous réponds : oui oui je vois bien ce que vous voulez dire...
Profitez bien des couleurs d'automne, reposez vous un peu devant ses jolies couleurs car de toute façon vous continuerez à ne jamais vous ennuyer. Il faut juste le bon dosage comme vous écrivez...
Prenez soin de vous.
Gg-
- lareflexiothecaireLe 21/11/2022
Merci Gg ! C'est toujours un moment de joie quand je vous lis réagir :) J'espère que vous allez bien
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